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Décryptages

L'essor des offres digitales dans le paysage bancaire africain



La révolution digitale transforme toutes les sphères de l’économie y compris le secteur bancaire, particulièrement impacté par ce mouvement depuis une vingtaine d’années. Les acteurs traditionnels doivent repenser leur fonctionnement et leur offre de services afin de répondre aux besoins de clients toujours plus exigeants et rester compétitifs face à une concurrence de plus en plus forte, notamment avec l’arrivée des banques pure players.

En Europe notamment, on a observé l’apparition de deux vagues d’acteurs bancaires exclusivement digitaux : premièrement les banques en ligne, notamment ING Direct, BforBank ou autre Boursorama, suivies par la deuxième vague constituée de néobanques (souvent appelées banques mobiles) telles que N26, Monzo, Compte-Nickel, Revolut ou encore Starling.


Comme ailleurs dans le monde, le secteur bancaire africain n’a pas été épargné par les mutations technologiques en cours, bien que les apports ne soient pas les mêmes. Si sur les marchés occidentaux l’offre des banques digitales est jugée nécessaire car permettant une distribution plus efficiente des produits bancaires et financiers (comptes multi-devises, gestion des plafonds de dépenses, placements, etc.), l’Afrique n’a pas tout à fait résolu le problème de l’accès aux services bancaires et financiers. Pour preuve, on observe un taux de bancarisation avoisinant les 35 % en Afrique subsaharienne (et réduit à environ 20 % en excluant le Nigéria et l’Afrique du Sud), contre plus de 90 % en Europe et même 99 % en France. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce faible taux d’inclusion bancaire en Afrique. Parmi ceux-ci on peut notamment lister le manque de confiance dans les institutions financières, le très faible revenu par habitant ou encore l’éloignement des agences généralement concentrées dans les centres urbains dans des pays à population majoritairement rurale (soit à peine plus de 3 agences bancaires pour 100.000 habitants en Afrique subsaharienne, contre 69 en France.).


L'Afrique, un marché propice à la digitalisation des services financiers


En dépit de ces facteurs adverses, le continent africain représente un marché favorable au développement d’offres digitales de services financiers avec un âge moyen de 19 ans pour une population dépassant le milliard d’habitants, 41 % de la population âgée de moins de 15 ans, plus d’un milliard d’abonnés mobiles, plus de 400 millions d’abonnés internet mobile en 2019. Cette population jeune et connectée préfère utiliser un smartphone pour vérifier leur solde ou effectuer un transfert d’argent au lieu de se rendre au guichet automatique ou en agence bancaire parfois située à des centaines de kilomètres, en particulier dans les zones rurales.


Les opérateurs téléphoniques ont été les premiers à identifier que ces caractéristiques pouvaient en fait se transformer en opportunités, proposant à la fin des années 2000 des services de monnaies électroniques communément appelés Mobile Money, permettant aux utilisateurs de réaliser des opérations financières basiques : recharge de compte, transfert d’argent personne-à-personne, paiement de factures, etc. Si ces services adossés au numéro de téléphone de l'utilisateur ont rencontré un succès sans précédent avec plus de 400 millions de comptes mobile money actuellement dénombrés sur tout le continent, on observe également l’arrivée de fintechs proposant une gamme de services divers et variés : ouverture de compte courant, virement intra et inter réseau, épargne, crédit, carte de paiement, etc.


Banques en lignes et Néobanques font leur apparition dans le paysage bancaire


De leur côté, les banques traditionnelles s’activent à travers le continent pour proposer des services bancaires digitaux en vue d’atteindre les populations pas ou mal bancarisées jusqu’à lors. À ce titre, les banques tunisiennes ont fait office de pionnières avec le lancement de l’Agence bancaire 100 % en ligne Amen First Bank par Amen Bank dès 2015. Ce dispositif initialement accessible via ordinateur et par la suite via une application mobile, permet aux utilisateurs de bénéficier de tous les services d’une agence bancaire à distance : ouverture de compte, situation de solde, relevé de compte, virement, demande de crédit, etc. Amen Bank a été suivie par Attijari Tunisie qui a lancé en 2018 sa banque en ligne Webank.


L’un des déploiements de banque digitale les plus notables est celui de Standard Chartered qui a lancé sa banque en ligne en 2018 en Côte d’Ivoire avec pour objectif de poursuivre en 2019 au Ghana, en Tanzanie, en Ouganda, au Kenya, au Botswana, en Zambie et au Zimbabwe. La banque promet ainsi l’accès à plus de 70 services bancaires sur sa plateforme : ouverture de compte, accès au crédit, facilité de découvert, épargne rémunérée, etc.


C’est indéniablement au Nigéria et en Afrique du Sud que le secteur des banques digitales se développe le plus, en vertu notamment d’un marché plus mature qu’ailleurs : taux de bancarisation de 40 % au Nigéria et de 80 % en Afrique du Sud. En 2017, l’une des plus anciennes banques nigérianes, Wema Bank, présentait son service de banque en ligne dénommée ALAT Bank. En juillet 2019, la microfinance nigériane Highstreet lançait sa plateforme de banque en ligne Rubies Bank. Côté banque mobile, certains acteurs tels que Discovery Bank, TymeBank ou encore BankZero (lancement prévu dans les prochaines semaines) en Afrique du Sud ou alors Kuda Bank au Nigéria se distinguent de leurs pairs. Permettant à toute personne disposant d’une connexion internet d’ouvrir un compte bancaire depuis son smartphone, ces néobanques ciblent principalement les étudiants de 18-24 ans qui sont généralement non-bancarisés, et les +25 ans déjà sur le marché du travail et ultra-connectés.


Pour ce qui concerne l’offre bancaire, les banques en ligne (ALAT Bank, Amen First Bank, Rubies Bank et Webank) proposent les mêmes services qu’une banque classique : ouverture de compte courant ou épargne, demande crédit, épargne, chéquier, carte de paiement, placement financiers, etc. Du côté des banques mobiles, on se rapproche plus du compte de paiement - à ce jour aucune n’octroie de crédit ni ne permet à ses clients d’avoir accès à des chéquiers. Dans le cas de la néobanque ou de la banque en ligne, la personnalisation accrue de l’expérience client est proposée grâce à des outils de gestion et de suivi innovants et intuitifs accessibles via le mobile. Au-delà de la consultation des comptes, virements ou définition des plafonds sur la carte, la plupart des banques proposent des alertes de mouvement de compte en temps réel, virements instantanés, changement des codes de carte, etc.

En vue d’assurer une agilité et un déploiement rapide de leurs offres, la quasi-totalité de ces banques digitales ont adopté une approche Bank-as-a-platform : elles permettent à des partenaires de proposer leurs services (paiement de facture, achat de crédit téléphonique, assurance, crédit, etc) en se connectant directement via des API. C’est une pratique déjà fort répandue sur le continent car tous les fournisseurs de services de mobile money et la majeure partie des banques permettent à leurs clients d’acheter du crédit téléphonique, de payer leurs factures (eau, électricité, TV, etc) ou de souscrire à une police d’assurance depuis leurs plateformes digitales (application mobile, canal USSD, chatbot sur messagerie, etc).


En plus du confort qu’offre l’accès à distance à son compte, les clients sont particulièrement séduits par ces banques digitales car les frais imposés pour la gestion de compte ou l’utilisation de la carte bancaire sont quasi inexistants. Une tarification rendue possible car la digitalisation permet une forte réduction des coûts (de l’ordre de 90 % pour certaines opérations).


Le phydigital, formule gagnante ?


Alors que les institutions financières traditionnelles (Highstreet Microfinance Bank, Amen Bank ou Attijari Tunisie) permettent aux utilisateurs de leurs banques en ligne (Rubies Bank, Amen First Bank, Webank) de réaliser certaines opérations au sein de leurs agences physiques (finaliser l’inscription, collecte de cartes et chéquiers, dépôts d’espèces, etc), les clients des banques mobiles doivent réaliser toutes leurs opérations depuis leurs smartphones. La néobanque sud-africaine TymeBank fait figure d’exception à la règle. En s’inspirant du modèle de l’Agency Banking qui a fortement contribué au succès du Mobile Money en Afrique, elle a opté pour une approche hybride en permettant à ses clients de réaliser certaines de leurs transactions (ouverture de comptes, dépôt et retrait d’espèces, etc) auprès d’agents et terminaux au sein d’un réseau physique grâce à son partenariat avec les chaînes de supermarchés Boxer et Pick n Pay. Cette approche, à mi-chemin entre le digital et le physique a permis à TymeBank d’atteindre le million de clients en 10 mois d’opérations.


Les grands défis du secteur bancaire en Afrique (forte dépendance aux espèces et faible taux de bancarisation) rendent le digital incontournable, étant le mode de distribution le moins coûteux et le plus adapté au contexte du marché. Dans les années à venir, le numérique permettra de démocratiser encore plus l’accès aux services bancaires et financiers, une tendance qui bénéficiera aux banques traditionnelles et digitales. D’ailleurs, la digitalisation commence à porter ses fruits pour les banques du continent - les 10 premières banques nigérianes ont dégagé un revenu de près de 334 millions de dollars exclusivement sur les transactions électroniques sur les 9 premiers mois de 2019 : retrait au DAB, paiements marchands, paiements de factures, virements, etc. De son côté, Equity Bank qui compte 71 % de clients en dessous de 35 ans, annonçait en 2019 que 96 % des transactions de ses clients se déroulaient déjà en dehors des murs de ses agences. En somme, de belles perspectives pour les acteurs bancaires faisant le pari du numérique sur le continent.


Néanmoins, le succès de TymeBank repose principalement sur son modèle phygital (à la fois physique et digital) et rappelle l’importance de la présence de réseaux physiques pour accompagner le développement d’une offre digitale. Ils servent d’alternative sur un marché africain où les coûts d’accès à internet sont encore trop élevés, tout comme la prolifération de smartphones bas de gamme incapables pour certains de délivrer une expérience utilisateur fluide depuis les applications mobiles de ces banques digitales. Les agents et autres bornes physiques servent aussi de point de contact avec la banque pour une grande partie des opérations, notamment le dépôt d’espèces ; d’une grande importance au vue de l’omniprésence de l’argent liquide sur le continent.

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