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Décryptages

Chatbots : le nouveau visage de la banque africaine

Nous sommes le mardi 1er mai 2018. Le public de la conférence développeurs F8 organisée par Facebook a les yeux rivés sur la scène où au micro, Mark Zuckerberg, PDG du plus célèbre réseau social est en train de présenter à sa communauté les dernières évolutions produits et services à destination du grand public. Arrive enfin le moment d’évoquer les performances du tout nouveau segment “Business and Bots” lancé il y a peu par la firme sur fond de digitalisation croissante des échanges entre clients et entreprises. En peu de temps, quelques 300.000 bots commerciaux ont été créés sur Messenger, pour un volume total atteignant les 8 milliards d’échanges.


Au delà de ces chiffres impressionnants laissant entrevoir la force de frappe du réseau social et la place de choix qu’il entend occuper sur le segment de la relation client, c’est le support d’illustration choisi par Zuckerberg qui captivera l’attention du public ce jour-là. En effet, parmi les choix d’assistants dont il disposait, le Boss de Facebook a décidé de mettre en avant Leo, l’assistant bancaire lancé 6 mois auparavant par la United Bank for Africa (UBA), l’établissement bancaire créé par le riche homme d’affaire nigérian Tony Elumelu et présent aujourd’hui dans une vingtaine de pays en Afrique. Tout un symbole.


Un contexte général de digitalisation des services financiers en Afrique


À l’époque déjà, l’arrivée de Leo est tout sauf le fruit du hasard. En effet, ce dernier est mis en ligne dans un contexte local où les banques se livrent une concurrence acharnée pour accroître leur part de marché. Malgré des orientations stratégiques alignées sur leurs objectifs internes, toutes convergent vers un point commun : le lancement de services progressivement digitalisés visant à répondre aux exigences toujours plus affirmées des clients. De fait, sur la plupart des marchés du continent, les modes de vie des habitants et leurs usages des services bancaires ont sensiblement évolué durant ces dernières années. Pour une partie de cette clientèle, accéder à son compte depuis l’interface d’un mobile est plus qu’indispensable. En outre, ces derniers veulent gérer leurs opérations, consulter leur solde, effectuer des transactions ou encore régler leurs factures, le tout en l’espace de quelques secondes, ce qui requiert des services personnalisés et disponibles où qu’ils soient. Ainsi, la transformation numérique s’impose désormais au cœur de la stratégie des banques africaines, à l’heure où l’essor des services financiers via téléphonie mobile voit émerger sur la plupart des marchés subsahariens (hormis le Nigéria ou l’Afrique du Sud), des opérateurs télécoms qui trustent les premières places grâce à leurs produits de mobile money. À titre d'exemple, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest recensait au 31 décembre 2018, 33 initiatives d’émission de monnaie via téléphonie mobile dans sa zone, pour une valeur totale annuelle des transactions s’élevant à 35 milliards d’euros (avec 5,3 millions d’opérations réalisées quotidiennement par mobile money). Si les banques étaient directement partenaires de 70 % de ces projets (avec un telco ou un fournisseur de services financiers), ce sont surtout les acteurs "indépendants", notamment les Établissements de monnaie électronique d’Orange et MTN qui, affranchis de la dépendance d’avec leur partenaire bancaire, concentrent la majorité des comptes et opérations enregistrées dans la zone.

Cette évolution de l’écosystème des services financiers traditionnels et numériques force aujourd’hui les banques à réagir en diversifiant leurs offres ainsi que leurs canaux de distribution et d’acquisition de la clientèle. Après avoir déployé à grande échelle des produits d’Internet Banking, lancé des applications mobiles, et rendu disponibles leurs services via des canaux USSD (sur certains marchés comme le Ghana ou le Nigéria), certaines banques n’hésitent plus à se tourner vers l'intelligence artificielle et le Machine Learning au travers de chatbots, dans l’optique d’une réduction de coûts, couplée à une amélioration globale de l'expérience client.


L’émergence des chatbots en Afrique subsaharienne


Pionnière grâce à son désormais célèbre assistant Leo développé en étroite collaboration avec Facebook, UBA a ouvert la voie des chatbots en permettant à ses clients d’effectuer les opérations les plus courantes et bien au delà, directement sur les interfaces de Messenger ou WhatsApp (arrivé plus tard). Aujourd’hui, Leo est capable d’effectuer une large gamme d’opérations du quotidien au rang desquelles l’ouverture d’un compte bancaire, la vérification du solde du compte, l’achat de crédit d’appel, le transfert de fonds, etc. En matière de services à valeur ajoutée, Leo peut même initier des demandes de prêt, valider des chèques, régler des factures, suspendre temporairement un compte ou notifier instantanément d’une transaction. Autrement dit, toute la banque ou presque au bout de l’index. Quant à la sécurité de sa plateforme, thème sensible sur un marché sujet à des arnaques financières en tout genre, chaque opération effectuée par le bot est validée par un mot de passe unique (OTP) généré sur le numéro de téléphone enregistré initialement par le client.

Bien qu’il ait ouvert la voie sur son marché local avant de se déployer progressivement dans 16 pays, UBA a rapidement été rejoint par la concurrence sur le segment des assistants virtuels. En effet, à peine deux mois après son lancement, Diamond Bank présentait son assistante du nom d’Ada, capable d’effectuer presque autant d’opérations que Leo et même de surveiller les cours de bourse. Puis, Access Bank rejoignait le mouvement avec son bot nommé Tamara, disponible aussi bien sur WhatsApp que sur une interface Web. En juin 2018, c’était Stanbic IBTC qui lançait Sami sur Facebook Messenger, suivi par Keystone Bank et son assistant Oxygen disponible via application mobile, Messenger ou encore Telegram. Heritage Bank viendra ensuite avec Octopus, accessible sur Internet, Facebook, WhatsApp et Telegram. Aujourd’hui la vague de déploiement s’est largement étendue à l'ensemble du continent, avec Absa, Ecobank, BCP ou encore Société Générale qui elles aussi se sont lancées dans la course.

Malgré leur apparence a priori simpliste, ces robots conversationnels sont un excellent moyen pour les banques d’assurer des échanges continus et en temps réel avec leurs clients, tout en soulageant les agents de l’exécution par téléphone ou au guichet d’agence de tâches répétitives et à faible valeur ajoutée. Pour ce faire, à l’instar de tout assistant virtuel, le robot engage la conversation avec son interlocuteur en lui suggérant le type d’opérations pour lesquelles il a été configuré. Ce dernier aura juste à sélectionner « Transférer de l’argent », « achat de crédit » ou encore « ouvrir un compte » avant d’interagir avec l’assistant virtuel sur les détails des modalités de l’opération à réaliser.


Amélioration de l’expérience client au travers des services de messageries


La concurrence accrue dans le secteur bancaire ainsi que les attentes croissantes en termes de service et d’engagement rendent indispensables pour chaque acteur le développement d’une stratégie de fidélisation du client. Pour les banques, instaurer une approche basée sur le machine learning est une nécessité en vue d’améliorer la connaissance des besoins clients, de fournir des produits et services personnalisés, d’anticiper les plaintes et d’améliorer les interactions des chatbots pour une expérience plus fluide et satisfaisante. 

Aujourd’hui, plusieurs raisons justifient le fait que les banques africaines se tournent vers les plateformes de Messenger ou WhatsApp au travers de chatbots, à commencer par le taux de couverture important de ces derniers sur l’ensemble du territoire.

En plus d’un service à la carte, les clients souhaitent pouvoir accéder à leur banque à tout moment. L’intérêt d’une intégration des solutions de chat réside donc dans le fait  d’apporter flexibilité et disponibilité au client, indépendamment des horaires d'ouverture et de fermeture du centre de relation clients ou des agences. Les boucles d'attente et les délais de traitement des e-mails se voient donc éliminés. 

Pour les établissements présents sur plusieurs marchés (Attijari, Société Générale, Ecobank, UBA, etc.), l’un des plus gros défis réside aussi dans le besoin d’uniformiser leur communication tout en la personnalisant selon les spécificités des pays. Certains établissements tels qu’Ecobank ont mis en service à l’échelle de leurs 33 pays de présence, des  “Live Chat” où des agents humains interviennent au bout du clavier pour répondre aux questions des clients. Si cette solution s’avère intéressante, l’expérience client peut s’en trouver altérée selon le temps d’attente nécessaire pour joindre l’agent bancaire. De fait, le chatbot, loin de remplacer les solutions existantes peut être un excellent canal complémentaire permettant d’optimiser l’apport humain dans la relation client. En effet, lorsqu’il entre en contact avec le client, le chatbot collecte et pré-qualifie les données initiales relatives à la demande. Grâce à ce tri, il est en mesure de déterminer si la requête nécessite l’intervention d’un humain, auquel cas il effectue la mise en relation avec le service adéquat, sinon, il réalise l’opération de lui-même.


La jeunesse africaine connectée : cible de choix des chatbots bancaires


Selon la GSM Association, l’Afrique subsaharienne comptabilisait 456 millions de personnes abonnées au mobile en 2018 (+ 20 millions par rapport à 2017), ce qui représente un taux de pénétration de 44 % de sa population totale. Plus de la moitié de ces abonnés (239 millions de personnes) ont également un accès régulier à Internet depuis leur téléphone portable. 

D’ici à 2025, 167 millions de personnes supplémentaires viendront s’ajouter à cette base, portant le nombre total d’abonnés mobiles à 600 millions, ce qui en fera la région avec le taux de croissance le plus important en la matière.


La part significative des jeunes dans la population totale de la zone a un impact direct sur l’adoption des services numériques. En effet, les deux dernières vagues générationnelles Y (née avec le web « passif ») et Z (bercée par le web 2.0 et les réseaux sociaux) ont creusé un écart presque abyssal avec leurs prédécesseurs, tant leurs modes de consommation diffèrent, marqués par des évolutions extrêmement rapides de la technologie ces dernières années. 

Pourtant, malgré une forte appétence pour le digital, la catégorie nommée à tort « jeunesse africaine » cache des différences réelles et significatives dans ses usages des services. Ainsi, à l’instar de nombreuses marques sur le marché, les banques doivent développer des approches ciblées autour de cercles et communautés de consommateurs ayant des comportements similaires. 

Pour les personnes nées des années 80 au milieu des années 90, les services d’Internet Banking ainsi que les applications mobiles sont les canaux privilégiés pour accéder quotidiennement aux services bancaires. Elles laissent aux générations antérieures le loisir de passer toute leur matinée dans la file d’attente des rares agences de la ville, à patienter pour effectuer un retrait ou demander au conseiller de réaliser une opération qu’elles auraient aisément pu réaliser depuis le confort de leur canapé. Pourtant, si elles ont réussi à faire des adeptes parmi les jeunes adultes bancarisés, ces applications mobiles n’ont pas permis l'acquisition de nouveaux clients, la plupart n’offrant pas la possibilité d'interagir avec la banque sans en être au préalable client.  

Développer des services de WhatsApp ou Messenger Banking est donc un moyen tout trouvé d’une part d’augmenter sa base client avec la possibilité d’ouvrir un compte en trois clics et d’autre part, celle de séduire ceux qui dès leur naissance ont été biberonnés au digital et à l’Internet. Cette génération « années 2000 » vit en effet les yeux rivés sur un écran, allant parfois jusqu’à se désintéresser du monde réel. Ce qui les différencie le plus de leurs aînés, c’est surtout leur usage exacerbé des réseaux sociaux et les nombreuses heures passées à « tweeter », « snapchatter », « instagrammer » ou « texter ». Quiconque cherche à capter l’attention de cette cible devra donc venir la chercher là où elle se trouve, et ne surtout pas l’obliger à jongler entre des fenêtres d'applications dont la plupart sera sacrifiée à la première notification du manque d’espace dans le téléphone. 

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