USSD en Afrique : et si l’idylle n’en était qu’à ses débuts?
Sur le continent africain, le code USSD incarne depuis plus d’une décennie l’un des secrets de la réussite des opérateurs de réseaux mobiles dans le secteur de la finance. Par ce canal, les “telcos” ont en effet réussi le tour de passe de se positionner comme des acteurs incontournables de cet univers qui leur était totalement étranger peu de temps auparavant.
En effet, l’USSD a permis à un grand nombre de personnes autrefois exclues du système bancaire, de pouvoir accéder à des transactions formelles, participant ainsi pleinement à l’inclusion financière de toutes les couches de la population. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, jusque récemment encore, l’USSD – pour “Unstructured Supplementary Service Data ou données de services supplémentaires non structurées” – était relégué par bon nombre d’analystes au rang des technologies en voie de disparition. Pourtant, sur le continent africain, l’USSD vit actuellement une seconde jeunesse, donnant à tout un chacun la possibilité de réaliser pléthores d’actions en tout genre et laissant poindre le constat que l’idylle entre cette technologie et le continent noir pourrait finalement ne pas avoir fini d’être écrite.
Simplicité et accessibilité : deux atouts en faveur de l’USSD
Protocole utilisé par le réseau GSM pour communiquer avec la plateforme d’un fournisseur de services, l’USSD permet entre autres de recharger ou consulter son crédit de communication ou son compte de monnaie électronique en tapant simplement un code sur son téléphone mobile. Cette technologie de communication en temps réel est basée sur une session qui débute traditionnellement par une étoile (*) et se termine par un dièse (#). Avec un temps d’exécution plus court que celui des SMS, il ne fonctionne pas par stockage et transfert contrairement à ces derniers. Utilisée pour échanger les messages entre un téléphone mobile et une application, les informations sont donc directement transmises du mobile de l’utilisateur vers le serveur de ladite application. L’intérêt de l’USSD est de proposer des services de données à faible bande passante, permettant aux utilisateurs d’envoyer des informations sur un réseau GSM sans connexion à Internet. Aussi basique puisse t-elle paraître, l’USSD offre aujourd’hui une multitude d’opportunités, notamment dans le domaine de la finance où son usage le plus célèbre sur le continent africain est incontestablement dans le “mobile money”.
Lorsqu’elles souhaitent délivrer à leurs clients des services financiers transactionnels via téléphone mobile, les entreprises ont le choix de se rabattre sur l’USSD ou alors d’opter pour d’autres possibilités, à l’instar du SMS, de la boîte à outils SIM (STK, pour « SIM Toolkit ») ou encore d’une application mobile. Pour autant, dans un environnement où les connexions à Internet sont aléatoires et proposées à des tarifs encore trop élevés pour une bonne frange de la population, orienter sa stratégie uniquement sur le développement d’une application mobile peut présenter dans certains cas, des risques pour le fournisseur de service (qui a alors la possibilité de contrecarrer cela par la mise en place d’un réseau performant d’agents sur le terrain). Si STK et USSD font toutes les deux partie de la norme GSM, fonctionnant ainsi sur la très grande majorité des téléphones mobiles du marché, il existe cependant des différences notoires entre ces deux technologies reposant sur des possibilités d’interface différentes. La boîte à outils SIM comme son nom l’indique, permet à l’utilisateur d’accéder très rapidement aux services fournis par son opérateur mobile via une carte SIM. Que ce soit pour suivre sa consommation, personnaliser son mobile, accéder à sa messagerie ou à des services financiers, un clic suffira pour atteindre la fonction désirée. Aussi, le STK permet de bénéficier de niveaux de sécurité relativement élevés. Avec l’USSD en revanche, l’utilisateur doit composer un numéro court (#123# par exemple) pour activer le menu désiré. Après chaque chiffre composé, les données sont envoyées vers un serveur qui actualise l’écran, ce qui peut engendrer des temps de latence en fonction de la qualité du réseau. Pour autant, l’USSD possède des avantages de taille : ce dernier présente un meilleur parcours utilisateur et une meilleure sécurité que le SMS, ne requiert pas de connexion à Internet (à la différence d’une application), n’implique pas de modification ni de renouvellement de carte SIM (contrairement au STK qui nécessite parfois que le fournisseur de services financiers ait accès à la carte SIM pour y télécharger des modifications, une manoeuvre impossible lorsque ce dernier n’est pas un telco).
En 2007, lorsque Safaricom lançait officiellement son célèbre service de mobile money, l’opérateur décida d’opter pour la Sim Toolkit (STK) comme support technologique de son service, au détriment de l’USSD. Pourtant, en dehors du M-Pesa kenyan, rares sont les marchés de monnaie électronique qui se sont développés autrement que grâce à l’USSD, principale “front-end technology” retenue pour les déploiements à grande échelle de services de mobile money en Afrique. Aujourd’hui encore, le support sur lequel est délivré un service financier sur mobile est fonction de différents facteurs, tels que la compatibilité avec les modèles de téléphones en circulation, la simplicité d’utilisation, l’expérience utilisateur, la sécurité, le coût, ainsi que la facilité de déploiement. Malgré les évolutions du marché et des habitudes consommateurs, l’USSD reste donc un choix privilégié par bon nombre d’acteurs, la préférant même à la mise sur le marché d’une application mobile. En effet, en dépit de chiffres en constante évolution, notamment ceux relatifs à la croissance du mobile et aux déploiements des réseaux 3G et 4G sur le continent, les faibles niveaux de maturité dans les usages de téléphones intelligents ou encore le budget alloué par les populations à la recharge d’une connexion Internet peuvent considérablement réduire le taux d’activité des utilisateurs d’une application mobile, là où l’USSD a déjà fait ses preuves, même en milieu rural.
Applications mobiles vs USSD : un choix pourtant dicté par la volonté des telcos
Les fournisseurs de services financiers sur mobile subissent une pression concurrentielle intense les obligeant à maintenir des niveaux de prix les plus attractifs, tout en conservant la meilleure qualité de services possible. Sur le marché africain, les problématiques compétitives au sein de ce secteur sont d’autant plus exacerbées qu’aux acteurs classiques de la finance (IMF, banques), se sont désormais rajoutés les opérateurs de téléphonie mobile qui, grâce à leurs produits de mobile money diffusés au sein de canaux USSD propriétaires, disposent d’un avantage concurrentiel important, positionné au coeur de leur proposition de valeur. Aujourd’hui, bon nombre d’acteurs qui, au regard des chiffres de croissance des smartphones avaient peut-être un peu trop rapidement misé sur une ère post-feature phones, doivent se rendre à l’évidence : la majorité des Africains (même parmi ceux qui possèdent des téléphones intelligents) ne peut s’offrir le luxe d’une connexion Internet 24/24. Dès lors, les fournisseurs de services financiers (non telcos) pourraient se mettre à rêver de pouvoir enfin délivrer leurs offres via des canaux USSD, eux qui, engagés dans une course contre la montre, tentent de rattraper le retard cumulé durant la décennie écoulée. Ainsi, certaines banques, au rang desquelles Société Générale, Ecobank ou encore Coris Bank, ont aujourd’hui dans leurs catalogues, des services de monnaie électronique.
Malgré des applications mobiles aux interfaces utilisateurs bien pensées et aux fonctionnalités intéressantes, le support technologique reste encore problématique, étant donné la nécessité de disposer systématiquement d’une connexion à Internet. Dès lors, nombreux sont les fournisseurs de services financiers qui lorgnent avec insistance en direction des opérateurs telcos et de leurs canaux USSD, rêvant de pouvoir atteindre des niveaux de pénétration équivalents à ceux observés dans le mobile money. Malheureusement, dans la plupart des cas, obtenir un code USSD pour de telles activités peut s’avérer être un chemin de croix, notamment sur les marchés où les telcos sont en situation de quasi-monopole (Safaricom au Kenya ou Econet au Zimbabwe). Dans ce cas, la négociation à la baisse des conditions commerciales d’obtention de canaux USSD s’avère des plus compliquées pour tout fournisseur tiers. De fait, l’opérateur dispose d’une liberté considérable pour fixer le prix qui lui sied, forçant les plus irréductibles à se tourner vers des agrégateurs qui, achètant au prix de gros plusieurs canaux USSD ont plus de poids pour négocier de meilleures conditions avec les opérateurs. En 2013 par exemple, Econet avait dans un premier temps refusé d’autoriser aux banques zimbabwéennes, l’accès à sa plateforme de services monétaires mobiles (EcoCash), avant de leur facturer des montants assez élevés pour l’accès à son service USSD.
Aujourd’hui encore, les griefs des acteurs (notamment de services financiers sur mobile) convergent tous vers des plaintes d’abus de position dominante. De fait, ces derniers accusent les opérateurs télécoms non seulement de proposer des grilles tarifaires d’accès à l’USSD trop élevées, mais également, lorsqu’ils y sont contraints par les autorités régulatrices, une qualité volontairement dégradée du réseau (coupures intempestives en pleine transaction) altérant considérablement la confiance et l’exploitation de leurs services par les clients.
Une ouverture lentement mais sûrement à l’ensemble du marché
Tout ce contexte a poussé certains gouvernements à réagir, à l’instar du Mali et du Sénégal qui en Afrique de l’Ouest, font partie des premiers Etats à sonner la charge. Engagée dans la promotion et la facilitation de l’accès aux services de télécommunication, l’Autorité malienne de régulation des Télécommunications et des Postes (AMRTP) a en effet annoncé le jeudi 22 novembre 2018, l’ouverture des canaux USSD, aux fournisseurs de services à valeur ajoutée (banques, microfinances, promoteurs de jeu), contre le paiement d’une redevance d’un million de FCFA par an. Quelques mois plus tôt (10 avril 2018), le Sénégal annonçait également avoir procédé à la libéralisation de l’accès aux codes USSD, dans le but de renforcer la concurrence et l’innovation, en vue de respecter le principe de la non-discrimination qui voudrait que l’ensemble des acteurs soient soumis aux mêmes règles.
Les populations rurales comme urbaines seront les premières à profiter de cette tendance qui poussera inlassablement à la baisse des prix sur les prestations de paiement de factures, de transfert d’argent, de paiement de biens et services sur mobile, qui pour l’heure sont principalement offerts par les opérateurs à partir de leurs services USSD.
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