Le défi de repenser les canaux d'accès de la banque en Afrique
En Europe, la forte poussée de la digitalisation dans le secteur bancaire corrélée à une baisse de fréquentation des agences a entraîné depuis plusieurs années un nombre important de fermetures de ces dernières. En moyenne, moins de 20% des clients français s’y rendraient désormais plus d'une fois par mois. Dans la plupart des pays du vieux continent, les institutions bancaires ont ainsi vu progressivement baisser la rentabilité de leurs points de distribution physiques ainsi que le nombre de souscriptions de produits qui y sont réalisés. À l’instar de la mise en place de virements ou du passage à des règlements par prélèvement, l'automatisation de nombreuses opérations s’est substituée aux ordres exécutés en agence pour les dépenses du quotidien. De fait, grâce au déploiement des services de banque à distance, accessibles depuis un PC, une tablette ou un téléphone mobile, une part importante des clients bancaires ne se rend désormais que rarement en agence de proximité, ayant le confort depuis leur domicile de consulter leur solde en temps réel, envoyer de l’argent à un proche ou encore communiquer avec leur conseiller au sein d’une messagerie intégrée. En Afrique subsaharienne, le contexte est en revanche différent. Bien que le processus de digitalisation de la banque y soit là aussi été entamé, ce dernier se déploie à un rythme moins soutenu, au sein de marchés où le taux de bancarisation des populations reste à des niveaux encore modestes et où une frange importante de clients se rend régulièrement en agence dans le but de réaliser des opérations à très faible valeur ajoutée. Cette situation induit pourtant des coûts importants, notamment en termes d’effectifs et d’infrastructure (sécurité, électricité, informatique). De plus, les prix élevés du foncier dans les grandes villes africaines ainsi que les coûts de gestion du cash pèsent pour beaucoup dans la rentabilité des agences bancaires. Engagées dans des projets d’extension de leur réseau de distribution, les banques africaines savent néanmoins que le peu d’ouvertures de succursales qu’elles réalisent chaque année ne serviront que modestement à densifier leur présence sur les territoires. Entre 2011 et 2017, la zone UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine) enregistrait par exemple une hausse moyenne annuelle de 5,4% du nombre d'agences bancaire, tandis que la clientèle augmentait bien plus rapidement dans le même temps (+11,65% en moyenne chaque année), accroissant un déficit de couverture déjà conséquent. Assurer un maillage efficient des territoires reste donc un défi majeur pour toutes les banques du continent, d’autant que sur des marchés où se côtoient des établissements nationaux, panafricains (marocains, nigérians, sud-africains, etc.) et internationaux, rapprocher la banque au plus près du client pourrait signifier une hausse de la création de comptes et une vente directe plus conséquente de produits bancaires (crédits, épargne, bancassurance, etc.). Fin 2018, Société Générale Côte d’Ivoire, l'établissement comptabilisant le plus grand nombre de comptes bancaires dans le pays et l’un des plus grands réseaux d'agences, plafonnait à une moyenne de 13903 clients par agence. À ce jour, les banques ivoiriennes dans leur ensemble disposent en moyenne d'une agence pour 5670 clients, soit un niveau bien trop élevé pour espérer satisfaire efficacement l’ensemble de la clientèle. D’autant que dans le même temps, les fournisseurs de services de mobile money, grâce à leur système d’agents portés par des commerces de proximités réussissent un maillage bien plus performant, avec en moyenne 159,8 clients par point de ventes.
Même constat au Sénégal où l'établissement CBAO du Groupe Attijariwafa bank, seule banque à enregistrer plus de 300.000 comptes dans le pays, possède une moyenne de 4096 clients par agence, la moyenne nationale étant de 4131 (contre 58 clients par point de service mobile money).
Le digital pour dynamiser l’activité des banques africaines
L’arrivée du digital dans le secteur bancaire en Afrique est donc une formidable opportunité de rebattre certaines cartes. Offrant une gamme élargie de produits et services accessibles 24h/24, il renforce l’idée d’un modèle de proximité et donne de nouvelles possibilités à la banque d’allonger ses cordages afin de séduire une clientèle supplémentaire, tout en accroissant ses interactions avec sa base actuelle. L’histoire de la digitalisation des services bancaires à la clientèle a suivi une évolution progressive sur le continent africain. Démarrée par de simples options de “SMS banking” servant à notifier des opérations majeures effectuées sur le compte, elle a ensuite évolué vers des services d’Internet Banking, soit la possibilité d’effectuer ses opérations quotidiennes depuis une interface Web. Puis, avec l’arrivée massive des smartphones sur les étalages commerciaux des marchés africains, la part des détenteurs de téléphones intelligents a connu un véritable bond en avant, incitant naturellement les banques à développer des applications mobiles renforçant leur proposition de valeur. C’est à ce moment qu’un gap technologique s’est naturellement formé, entre des “digital leaders” qui ont rapidement initié en interne une refonte (plus ou moins poussée) de leur système d’information et fait du digital le moyen par excellence de s’implanter dans le quotidien des clients, et des “digital deniers”qui n’ont pas jugé judicieux d’investir dans une restructuration d'une infrastructure pourtant obsolète. Ces investissements consentis dans le déploiement de dispositifs et de services sur mobile ont pour but d’améliorer le parcours client, notamment concernant la recherche d’information, la personnalisation et la souscription de produits. De ce fait, le digital apparaît comme le parfait maillon d’une complémentarité nouvelle avec le réseau d’agences, permettant de désengorger un temps soit peu les points physiques et facilitant à une bonne frange de la population, l’exécution d’opérations qui au préalable auraient requis un déplacement aussi coûteux en temps qu’en argent.
Assurer une base fonctionnelle
Une fois démarrée, l’expérience digitale qu’offrent les banques à leurs clients se doit d’être enrichie d'une gamme complète de produits et services afin de prendre un avantage comparatif sur un marché où se côtoient des portefeuilles électroniques poussés par des fintechs, des services de mobile money et des acteurs bancaires en quête de renouvellement. Ainsi, des produits d’assurance à la possibilité d’investir, de payer en ligne, d’épargner ou d’obtenir du crédit express, les banques disposent d’une marge de manoeuvre importante pour accroître leur proposition de valeur numérique et offrir des services plus attractifs à leurs clients. Mais pour l’heure, les applications mobiles bancaires ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Sur le continent, la dynamique d’innovation dans le secteur a en effet principalement été portée par le Maroc, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigéria qui font office de pionniers, avec certaines applications qui n’auraient en rien à rougir face aux meilleures néobanques occidentales (N26, Revolut, etc.). Dans le reste des pays subsahariens, la disruption a surtout été initiée par les banques panafricaines, dont l’approche a été de mutualiser les coûts de développement afin de délivrer une interface unique utilisée dans tous leurs pays de présence.
C’est le cas notamment d’Ecobank, qui a initié en 2016 une refonte de sa stratégie en l’axant autour du numerique, avec un objectif ambitieux d’atteindre les 100 millions de clients d’ici à la fin 2020. Pourtant, pour l’institution panafricaine présente dans 33 pays, l’un des challenges réside dans le fait de délivrer une application unique pour des marchés aux niveaux de maturité considérablement variables. Ainsi, dans un écosystème aussi dynamique que celui du Nigeria, où l’on retrouve pléthore de fintechs et de banques en ligne aux propositions de valeurs hautement qualitatives, offrir des services de gestion de patrimoine, du paiement fractionné ou de la souscription de produits d’assurance depuis son application n’est pas une révolution en soi. Là-bas, les fonctionnalités y sont poussées à leur paroxysme, au point que les offrandes aux églises, les achats de billets d’avion ou autres paiements de frais de visas peuvent s’effectuer directement au sein d’applications qui font office de véritables hubs financiers. Cependant, en dehors de ces marchés matures, disposer d’applications “trop riches” en fonctionnalités peut paradoxalement s’avérer être un frein sur certains aspects. Dans l’Espace UMOA, Ecobank est la première institution bancaire en matière d’implantation (8 établissements dans la zone) et deuxième concernant le nombre de comptes clients (12,6 % du total). Pourtant, même au sein des pays les plus performants de l’espace, à savoir la Côte d’Ivoire et le Sénégal, sa clientèle ne dispose pas des mêmes attentes en matière d’usage de produits financiers numériques que ceux du Nigeria ou du Kenya. De ce fait, les usagers bancaires y réclament avant tout des applications simples mais fonctionnelles. Ainsi, obtenir un solde actualisé en temps réel, la possibilité de faire un virement vers un autre compte bancaire ou un portefeuille de mobile money ou d’effectuer des retraits sans carte au distributeur sera plébiscité en priorité. De plus, au vu de la qualité parfois relative de la couverture des réseaux mobiles (3G et 4G), les utilisateurs se montrent des plus regardants concernant certaines performances techniques de l’application, à l’instar de sa taille, la rapidité de chargement de ses pages ou encore l’absence de bugs au moment d’effectuer des transactions financières.
Améliorer les parcours clients tout en offrant une expérience digitale enrichissante
Ce n'est qu'une fois ce socle des fonctionnalités de base solidifié, que les banques vont pouvoir rapidement faire évoluer leur proposition de valeur, en enrichissant leur plateforme de services financiers supplémentaires. Dans un contexte d’Open Banking, cela passe si besoin par l'intégration d’API développées par des acteurs tiers, afin d’offrir des services de crédit, d’assurance ou encore de gestion du patrimoine à la clientèle.
S’agissant de l’aspect transactionnel, une majorité des consommateurs africains possède des usages fragmentés en matière de paiement. S'ils demeurent solidement attachés à une tradition du cash qui domine outrageusement les échanges, l'arrivée des services de mobile money a marqué une évolution sur certaines verticales, de par la simplicité des parcours utilisateur qu’ils offrent en matière de règlement de factures, de transferts d'argent ou encore de recharge téléphonique. Pour les banques, désireuses de ne plus servir uniquement de canal de réception de salaires dont une bonne partie sera aussitôt retirée du compte, l’urgence est de définir une stratégie en phase avec les évolutions des marchés. Dans un contexte où la quasi totalité de la clientèle bancaire est également détentrice d’un ou plusieurs portefeuilles de monnaie électronique, les banques africaines se doivent de compléter leur dispositif digital en offrant des produits aussi inclusifs que complets. Cela peut passer par le développement d'une offre intégrée au sein d'un unique portail d'application ou alors par le déploiement d'un Wallet orienté paiement, afin de completer le produit mobile Banking existant. À l’instar de Société Générale ou Ecobank, certains établissements ont ainsi opté pour le développement d’un portefeuille électronique, dirigé à la fois à l’endroit de la clientèle bancaire tout en s’ouvrant des possibilités de séduire des personnes non encore bancarisées. En outre, la force d’un tel dispositif réside dans les possibilités de passerelle entre le compte bancaire classique et le compte de monnaie électronique, ainsi que le réseau d'agents et les GAB qui pourront être sollicités pour effectuer divers types d'opérations. Grâce à la collecte de données issues de l'activité au sein des portails mobiles bancaires ou depuis ces portefeuilles électroniques, les banques seront à même de connaître avec précision leur marché (qui sont les clients, quelles problématiques rencontrent-ils dans la gestion de leurs finances, quels sont leurs besoins quotidiens), afin de développer des offres différenciantes, tout en capitalisant sur les limites inhérentes aux offres proposées par leurs concurrents opérateurs téléphoniques, dont le cadre réglementaires interdit bien souvent d'opérer certaines activités telles que le crédit ou l'épargne. Cette approche data-centric permettra ainsi à la banque de mieux connaître ses clients et donc anticiper les besoins de ces derniers.
Repenser le rôle de l’agence bancaire
Toutefois, si la technologie s’avère être une excellente réponse aux problématiques d’une partie de la clientèle, cette dernière ne se montrera pas efficace pour tous. En effet, les profils clients repartis entre la clientèle grand public, les clients intermédiaires et le haut de gamme comportent en leur sein différents segments à l’intérieur desquels de nombreuses personnes restent malgré tout attachées au fait d’exécuter leurs opérations en agence. C’est le cas notamment de clients plus âgés, sensibles aux échanges physiques traditionnels avec le banquier.
Afin de repenser efficacement leur présence géographique et renforcer de fait l’image et la notoriété de leurs institutions, notamment auprès de populations ancrées dans une conviction que le réel est avant tout visible, plusieurs modèles sont à explorer parmi lesquels:
- Des agences spécialisées uniquement dans le traitement d’opérations courantes ;
- Des “agences lite” (sans personnel) ou des GAB nouvelles générations permettant d’effectuer différents types d’opérations, tels que des dépôts d’espèces, des paiements de services, des impressions de relevés, etc.
- Des agences “conseil”, avec des conseillers spécialisés par types de clients (particuliers, pros, entreprises, jeunes, etc.) disposant grâce à la collecte de données d’un avantage considérable pour offrir des services sur-mesure au client.
- Des flagships plus classiques couvrant l’ensemble des offres et produits.
- Enfin, développer une stratégie d’agency banking servirait également de canal d’acquisition client et de moyen de désengorger les agences, en transférant vers des commerces de proximités, aux horaires d’ouverture étendus et à la presence au plus près des populations, un ensemble d’opérations à faible valeur ajoutée.