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Décryptages

Accès à l’énergie en Afrique [Partie 2] : Mini-réseaux et systèmes autonomes


Dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, il est fréquent de voir la production d’énergie assurée par de grands ouvrages tels que les centrales hydrauliques, thermiques et même nucléaires. De fait, les États africains se retrouvent continuellement confrontés au défi de l’investissement dans les ressources nécessaires à la construction ainsi qu’à l’entretien de ces infrastructures, afin de stimuler et soutenir leur croissance économique par un approvisionnement continu en énergie. Cependant, force est de constater que produire une électricité qui sera acheminée à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de production pour fournir des villes ou villages de quelques centaines, voire quelques dizaines d’habitants est une démarche peu efficiente et loin d’être rentable. Au-delà du coût de raccordement, les pertes liées au transport sur les réseaux électriques peuvent atteindre jusqu’à 20%, ce qui rend nécessaire le développement d’une production de proximité et décentralisée, notamment sous forme de mini-réseaux (mini-grid) ou sous forme de systèmes autonomes (off-grid).


Mis en place pour répondre aux besoins énergétiques d’une communauté, les “mini-grid” sont généralement constitués de mini-réseaux électriques basse tension, alimentés par des générateurs Diesel, de petites centrales électriques, l’énergie éolienne, photovoltaïque ou encore par celle issue de la biomasse. Propice à l’hybridation (couplage diesel et solaire par exemple), ces systèmes qui requièrent une certaine capacité de stockage (généralement assurée par des batteries), sont utilisés autant pour l’alimentation individuelle que collective (éclairage public). En Afrique, plusieurs projets s’inscrivent dans une démarche similaire à celle de PowerCorner, initiée début 2015 par Engie, en vue d’approvisionner en électricité des populations rurales du village de Ketumbeine (en Tanzanie) où vivent 800 habitants, via des mini-réseaux à énergie solaire au coût compris entre 100.000 et 200.000 euros. De son côté, le Mali a lui aussi investi dans la mise en place de plus de 200 mini-réseaux fonctionnant au diesel.



Les systèmes autonomes sont quant à eux des systèmes de production décentralisés individuels, conçus pour répondre aux besoins de foyers non reliés au réseau électrique. Les dispositifs de ce type les plus utilisés sont les générateurs Diesel, les gazéificateurs de biomasse ou encore les panneaux photovoltaïques. Ces derniers sont souvent associés à un système de stockage, notamment des batteries électriques, afin de pallier au décalage entre la demande et les pics de radiation solaire, et d’assurer ainsi un approvisionnement continu en électricité. Des systèmes de kits solaires à usage individuel produisant jusqu’à plusieurs dizaines de watts en fonction des équipements annexes ont déjà été distribués par millions, principalement en Afrique de l’est où de nombreuses startups se partagent le marché local, au rang desquelles de M-Kopa, Off-grid Electric, Mobisol, etc.


Si les systèmes centralisés sont plébiscités pour leur coût permettant une économie d’échelle avantageuse, les dispositifs décentralisés présentent également des bénéfices considérables. En effet, ces derniers offrent non seulement plus de souplesse aux utilisateurs, notamment en matière de modalités de paiements, mais leur mise en place s’avère être génératrice d’emplois pour les populations locales. Fort de ses nombreux bénéfices, dont sa grande disponibilité sur le continent africain, le solaire est assurément à ce jour, la source d’énergie la plus adéquate pour éliminer les obstacles limitant l’accès à l’énergie dans cette région du monde. Bien que la production à partir du rayonnement solaire élargisse le champ des possibles pour des populations lésées par le réseau électrique classique et permette de contourner certaines lacunes en termes de production et de distribution, la question du prix demeure cruciale dans la mesure où les populations les plus touchées par le manque d’accès à l’énergie sont généralement les plus modestes.


Malgré ses innombrables ressources énergétiques, l’Afrique produit pourtant encore une énergie trop chère pour le consommateur local. En effet, le tarif moyen s’y situe autour des 13 centimes d’euros par kWh (kilowattheure), un coût proche de ceux pratiqués dans les pays européens pour un pouvoir d’achat bien moindre. En zones rurales, la situation est encore plus alarmante car ce prix peut atteindre les 40 centimes par kWh pour un groupe électrogène, ou même 70 centimes par kWh pour des panneaux photovoltaïques. Ces coûts particulièrement élevés par rapport aux revenus des populations sont la raison pour laquelle bon nombre de paysans africains (environ 63% de la population d’Afrique subsaharienne) sont aujourd’hui encore, privés d’électricité. Bien que subventionné par la plupart des Etats, l’approvisionnement en électricité hors de prix représente un véritable frein pour le développement. Les fournisseurs locaux, déjà confrontés aux énormes dépenses inhérentes à l’exploitation, doivent également composer avec les difficultés relatives au recouvrement, puisque 40% des clients ne règlent pas leur facture, probablement faute de moyens. Dès lors, afin d’élaborer une solution pérenne et pertinente pour ce contexte particulier, il devient primordial, voire indispensable de concevoir une stratégie de production décentralisée au “business model” cohérent avec les réalités de ces populations. La réflexion sur l’électrification des populations africaines est donc multidimensionnelle et doit prendre en compte aussi bien les aspects financiers que les questions relatives aux canaux de distribution et technologies adaptées (solaire, diesel, mini-hydraulique, éolien, etc).


Les dispositifs d’accès à l’énergie : exemple des Kits solaires


D’après l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), les systèmes d’éclairage au kérosène coûtent entre 4 et 15 dollars par mois aux ménages, contre 2 dollars par mois pour les systèmes utilisant l’énergie solaire. Ces chiffres sont corroborés par des données de Bloomberg New Energy Finance, qui présente le solaire comme étant la source d’énergie la moins chère dans une soixantaine de pays en développement. Les pays africains bénéficiant d’une exposition exceptionnelle à l’irradiation solaire possèdent de fait un énorme potentiel de production d’énergie décentralisée par panneaux photovoltaïques.


Surfant sur ce créneau très porteur, plusieurs jeunes pousses en ont profité pour se frayer un chemin dans la commercialisation de kits destinés aux habitations ou aux boutiques de quartiers sous différents formats. Le premier d’entre eux est le modèle fermé, pour lequel les entreprises fournissent un ou plusieurs panneaux de puissance variable, accompagné(s) d’une batterie et d’annexe choisie en fonction des besoins du client (ampoules LED, TV, Radio, prises pour charger un téléphone, etc.). En outre, ce modèle permet au fournisseur de définir au préalable le type de matériel à utiliser, celui-ci étant directement livré avec le kit solaire. L’entreprise kényane M-Kopa, qui revendique 500 nouveaux foyers connectés quotidiennement, est l’un des précurseurs sur ce secteur et a aujourd’hui distribué plusieurs centaines de milliers de kits au Kenya, en Ouganda et en Tanzanie depuis son lancement en 2012.


Les clients de M-Kopa ont la possibilité de disposer d’un téléviseur compris dans leur kit solaire. Après un dépôt initial, des paiements quotidiens sont effectués par mobile money pendant un an, après quoi, les clients deviennent possesseurs du matériel.

Par ailleurs, certaines entreprises ont fait le choix de  fournir uniquement des panneaux solaires accompagnés d’un module de stockage. Ces systèmes donnent la liberté à leurs usagers d’utiliser autant d’appareils qu’ils le souhaitent, dans la limite de la capacité de stockage et du voltage défini pour la batterie. À titre d’exemple, Lumos Global, une entreprise néerlandaise, commercialise des panneaux de 80W avec une batterie permettant d’utiliser ordinateurs portables, ventilateurs, radios, ou encore télévisions, dans la limite de 12V, excluant de fait les gros appareils de type réfrigérateur. À l’instar de Lumos Global, d’autres acteurs tels que Solar Box Gabon ou encore BBOXX, se sont également positionnés sur ce créneau.


Un financement facilité grâce au  mobile money et au modèle du “pay-as-you-go”


Une fois le dispositif choisi, il reste encore à définir le moyen de financement de l’installation et le mode de recouvrement le plus pertinent : comptant, échelonné, prépayé, post-payé, etc. Pour autant, le faible pouvoir d’achat des populations rurales (dont une grande majorité vit avec moins de 2$/jour), rend inadaptée la commercialisation de systèmes solaires avec un paiement comptant. Ainsi, l’adoption d’un paiement échelonné par jour, par semaine ou par mois, s’avère souvent être la solution la plus judicieuse.


Avec des populations vivant dans des endroits très peu peuplés, l’activité de recouvrement ainsi que toutes ses problématiques associées (vol, fausse monnaie, distance à parcourir, etc) peuvent également représenter un vrai challenge au quotidien. Afin d’y pallier au mieux, les jeunes pousses implantées en Afrique ont eu l’ingénieuse idée de baser leur stratégie de recouvrement sur l’explosion du téléphone portable et la rapide adoption du mobile money (argent mobile) désormais connu de tous à l’échelle du continent. En effet, l’Afrique compte aujourd’hui moins d’une personne sur trois ayant accès à un système d’assainissement convenable, la moitié de la population habitant des zones sans routes bitumées, et seulement 63% ayant accès à de l’eau courante. Pourtant, le paradoxe de ce continent repose dans le nombre de téléphones portables en circulation auprès des populations locales, dont plus de 93% des individus en possèdent un.


Deuxième marché mondial en terme d’abonnés mobiles, l’Afrique est passée de 330 millions à environ 1 milliard d’abonnés en l’espace de 7 ans (entre 2010 et 2017). Cette croissance fulgurante est le fruit de l’arrivée sur le marché de téléphones “low-cost” (smartphones à moins de 50 euros et feature phones à partir de 10 euros), généralement importés d’Asie et à la portée des bourses locales. Ce fort taux de pénétration du mobile a surtout permis le développement de nombreux services, notamment financiers et bancaires, sur un continent qui dans sa partie subsaharienne, compte en moyenne 3,2 agences bancaires pour 100.000 habitants (contre 69 en France par exemple). Pendant longtemps, cet état de fait a porté préjudice au taux de bancarisation resté en dessous de la barre des 15% dans la vaste majorité des Etats subsahariens. Ce n’est qu’avec la démocratisation de la téléphonie mobile et le déploiement de solutions de paiement et de banques sur mobiles en 2007, que la tendance s’est inversée. Ainsi, les fournisseurs de services de mobile money, incarnés dans leur grande majorité par des opérateurs télécoms, ont fortement disrupté la chaîne de distribution classique des produits et services financiers, en choisissant de contourner les modèles bancaires pour se baser sur un réseau d’agents et des technologies accessibles (de type USSD par exemple), afin notamment de permettre aux clients de réaliser des paiements de factures, des transferts de compte à compte, des consultations de soldes, etc. La conjugaison d’un modèle d’affaire bancaire innovant et adapté aux réalités locales, couplé de la forte pénétration du mobile en Afrique a donc permis de remonter le taux de bancarisation de cette zone.


Aujourd’hui, bon nombre d’entreprises dans divers secteurs utilisent ces systèmes de paiement mobile pour recouvrer leurs dûs auprès de leurs clients. C’est ainsi que les startups opérant dans la distribution de kits solaires se sont approprié le modèle du « Pay-As-You-Go », système permettant à leurs clients de financer leurs acquisitions en payant une partie du montant total à l’achat, et le reste en petits paiements successifs de fréquences variables (journalières, hebdomadaires ou mensuelles). Une fois le nombre total d’échéances réglées, le client devient alors propriétaire de l’équipement. La particularité du Pay-As-You-Go réside dans le fait que les appareils sont équipés d’une technologie permettant au fournisseur de couper la fourniture d’énergie à distance en cas de non paiement d’une échéance, sans besoin de parcourir les nombreux kilomètres qui le séparent  des clients.



Déployé à ce jour par plusieurs acteurs, le modèle du Pay-As-You-Go amorcera sous peu sa transition pour devenir “scalable”. Aujourd’hui ce sont près de 800.000 kits solaires pour maisons qui ont été commercialisés en Afrique, à un rythme d’environ 40.000 nouveaux systèmes installés par mois. Ce modèle d’affaires qui a attiré pas moins de 360 millions d’euros de financement sur les quatre dernières années, représente environ 36% du montant total investi dans les startups africaines sur l’année 2016. D’après la GSM Association, le modèle de financement des kits solaires par le Pay-As-You-Go pourrait sortir 9 millions de personnes de l’obscurité en Afrique d’ici 2020.


Par ailleurs, il est désormais fréquent de voir les fournisseurs de kits développer des systèmes de notation de crédits basés sur le mobile, en utilisant les données transactionnelles et sociales des clients. Cette méthode permet aux clients sans historique financier formel d’obtenir des prêts, notamment pour l’acquisition d’appareils et de systèmes solaires plus importants. D’autres fournisseurs permettent également à leurs clients de financer leurs échéances d’énergie avec leurs crédits de communication, à l’instar de Lumos au Nigéria.


Ce mode de financement de kits solaires requiert une importante disponibilité de cash pour les startups, poussant ces dernières à des recherches de financements fréquentes. Une mise à disposition de lignes de crédits spécifiques pour les entreprises du secteur pourrait donc être l’un des facteurs de succès de ce dernier.


Aujourd’hui, on dénombre en Afrique plus d’une vingtaine de jeunes pousses opérant sur le créneau de la mise à disposition de kits solaires pour maisons contre financement en Pay-As-You-Go. La partie suivante de ce dossier sera dédiée à la mise en avant de ces dernières. 


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